A l'aube des années 80, inspiré par la hargne et la vitesse de Motörhead, le Thrash Metal explose dans la Bay Area, avec pour principaux représentants Metallica et Slayer, suivit peu de temps après par l'Allemagne grâce au trio Sodom/Kreator/Destruction. Une révolte musicale conduit par la vitesse d’exécution et la rage, qui explose les standards du metal. Cependant le Thrash aurait très bien pu se noyer dans ses propres limites… à effectivement mettre au conditionnel car la relève du renouveau ne tarde pas à montrer le bout de son nez. Le trio suisse de Coroner fait partie de cette nouvelle mouvance qui, aux cotées de Mekong Delta, Watchtower et même Death, libère la voie de la virtuosité instrumentale dans un contexte musical intense, et introduit la notion d’intellect dans un style jusque là souvent considéré comme bestial. Voici donc l’histoire d’une nouvelle dimension artistique et esthétique.


Coroner début '80. De gauche à droite : Tommy, Marky et Ron. Alors que la furie du thrash gronde, se répend et s’étouffe dans sa multitude, que le Hard Rock subit l’assaut du plagiat opportuniste avec de fébriles copies des Guns’n’Roses ou autres Aerosmith, une vive lueur se fraye un passage dans cette purée de poids métallique. Ce brin d’air frais nous vient de l’autre coté du Lac Lémant et a pour nom Coroner.
A l’origine, Ron Broder (basse) et Tommy Vetterli (guitare) officient au sein d’un groupe local à Zurich, mais sont très rapidement insatisfaits par les autres membres du groupe. Ils décident donc de se réunir avec Marky Edelmann (batterie) en 1985. Tommy nous commente : « Lorsque nous avons rencontré Marky, nous étions très excités à propos de toutes ses idées, pas seulement musicalement, mais à propos de toutes ses idées conceptuelles qu’il possédait dans le cadre d’un groupe. Son esprit nous devançait très largement. Mais Ron et moi le devancions musicalement. Tout ceci c’est donc balancé avec le temp. » Le but de Ron Broder, Tommy Vetterli et Marky Edelmann est de créer un groupe de thrash qui subviendrait à retenir l’agressivité des pionniers, tout en repoussant le style lui-même vers de nouvelles limites.
Le premier problème rencontré est qu’ils ne possèdent pas de chanteur. Durant un temps le trio sert de roadies pour leurs compatriotes de Celtic Frost sur leur tournée américaine. C’est à cette période que les trois acolytes attirent l’attention de Tom G. Warrior, chanteur et maître à penser de Celtic Frost, qui leur prêtes alors sa voix pour enregistrer, en 1986, la demo « Death Cult » dupliquée à 250 exemplaires. La notoriété de Tom G. Warrior et le thrash technique fougueux élaboré sur cette demo, font qu’elle s’arrache comme des petits pains, et demeure aujourd’hui un haut collector. « Death Cult » leur vaut d’élogieux articles dans la presse et permet finalement à Coroner de conclure un deal avec Noise Records, le label indépendant allemand qui permis à de nombreux prestigieux groupes de sortir de l’anonymat tel que Helloween, Celtic Frost, Tankard ou Running Wild. Cependant, le groupe ne possède toujours pas de chanteur permanent et doit impérativement trouver une solution. Ne parvenant pas à trouver une personne à la hauteur de leurs espérances, Ron décide de combler le poste vacant, en maintenant celui de bassiste. Coroner évoluera sous ce trio mythique jusqu'à la fin de sa carrière. Par la même occasion les membres décident de changer leurs noms, entre autres pour facilité leur prononciation et leur mémorisation. Pour les années avenir, nos trois helvètes seront connus sous les patronymes Ron Royce, Tommy T. Barron et Marquis Marky.


Le Premier album R.I.P. est enregistré aux Music Lab de Berlin, sous la direction du producteur Harris Johns, et sort en septembre dans les bacs. Certes, la production n’est pas très bonne voir approximative, mais l’album révolutionne le genre et encense littéralement les critiques.
Il est indéniable que R.I.P. expose de flagrantes similitudes avec la musique de Celtic Frost des alentours de 84/85. Cependant, il serait plus juste de considérer le fait que ces deux groupes aient évolués dans de mêmes circonstances, au cours d’une même époque, plutôt que d’accuser un quelconque plagiat de mauvaise foi.
Comme le titre le suggère, les paroles, encore peu élaborés et même dissimulants une maîtrise approximative de la langue anglaise, traitent essentiellement de la mort. Mais après tout, le « coroner » n’est-il pas l’homme qui enquête sur les décès suspects ?
Vous prétendez que les Suisses sont mous ? Coroner risque bien de faire sauter cette réputation, car la musique de R.I.P. donne un sacré coup de pied au cul au speed metal de la fin des ‘80s. Un thrash très cru et explosif conduit par des riffs de guitares fluides mais efficaces et une rythmique en béton qui ne se cache déjà pas de ses influences jazz. Une puissance soulignée par la richesse des textures se dégageant d’une utilisation ingénieuse de claviers et guitares acoustiques. Ces derniers points représentent un pas énorme dans les standards du thrash et démontre une diversité qui trahis l’ouverture musicale de nos trois alchimistes. Effectivement, alors que la majorité des thrasheurs de cette époque ne jurent que par la fougue du thrash originel, Coroner est attiré par d’autres genres musicaux comme le Jazz et la musique classique. Apres tout, comment peut-on créer du nouveau en ne faisant que ressasser la gloire des vielles recettes ? Il n’y a pas de mystère, et Coroner l’a (naïvement ?) compris.
Tout ceci fait de R.I.P. une pierre angulaire du renouveau du thrash, en insufflant à cette mouvance un coté cérébral très rafraîchissant, et casse les limites que le style a pu indirectement se poser jusqu’alors.


La compilation Noise Doomsday News contenant l’inédit « Arrogance In Uniform » sort en picture disque. Puis, après une brève tournée européenne, le groupe retourne dans les studios pour enregistrer leur second LP Punishment For Decadence. Cet album solidifie la réputation de Coroner en tant que maître d’un nouveau genre mais aussi marque le début d’un perpétuel renouvellement. Il n’y aura pas deux albums qui se ressembleront, alignant les chefs d’œuvres à une allure métronomique, et chacun apportant sa dose d’innovation les conduisants progressivement vers une hypothétique perfection.
Sur Punishment, les envolées à haute vitesse typiques de R.I.P. s’alternent avec la lourdeur rythmique d’autres passages plus mid tempo. Les guitares acoustiques et le clavier qui ornait le précédant opus sont légèrement mis de cotés, rendant l’album plus concis et centré. La proéminente technicité ce fait d’autant plus ressentir, notamment sur la fulgurante instrumentale « Arc-Lite » qui impose à elle seule de nouveaux standards de qualité dans le metal. Les paroles de Marky prennent aussi une nouvelle tournure, il maîtrise mieux l’anglais et s’attaque à des sujets plus élaborés comme les cassures relationnelles (« Absorbed », « Shadow of a Lost Dream »), le mensonge politique (« Masked Jackal ») ou la dépendance (« Skeleton on my Shoulder »). On peut aussi relever une reprise phénoménale et déjantée du Purple Haze de Jimi Hendrix, à écouter absolument ! La production fut confiée à Guy Bidmead, connut pour son travail avec Motörhead, mais manque encore cruellement de clarté.
Punishment For Decadence est un album ô combien jouissif, qui enverra aux anges (aux enfers ?) les amateurs de brutalité thrash qui retourne le cerveau. A absolument faire figurer, au même titre que R.I.P., dans toute collection de thrash qui se respecte.

Suite à la sortie de Punishment For Decadence, Coroner commercialise un single et une vidéo pour le morceau « Masked Jackal ». Malheureusement c’est à partir de là que la défaillance promotionnelle de Noise Records se fait ressentir. La vidéo n’apparaît qu’une ou deux fois sur MTV. Ceci les démotivera définitivement à retenter l’expérience. De plus, la tournée de promotion aux US est extrêmement courte et ne reçoit aucune publicité. Le manque de promotion touche aussi d’importants pays tel que l’Allemagne ou l’Angleterre. Seul la France et la Suisse, leur pays d’origine, montre un intérêt instinctif et conséquent à l’encontre de leur musique. Ceci permet à Coroner d’effectuer d’excellentes tournées dans ces deux pays. La France restera d’ailleurs le pays de prédilection pour Coroner jusqu'à la fin de sa carrière. (Ndr : Bravos à tous les anciens qui ont sut supporter un vrai groupe de qualité comme il se doit ! Et à tout les Tubbises : prenez en de la graine…).


A la recherche d’un meilleur son, Coroner décide d’envoyer les cassettes (enregistrés à Berlin Ouest et produites par Peter Hinton) du prochain album, No More Color, en Floride aux désormais renommés Morrissound Studios; ces dèrniers nageant alors en plein cœur de l’émergence du Death Metal – c’est un grand fan de coroner qui en fut d’ailleurs le père, un certain Chuck Schuldinner (R.I.P.) … Le mixage aux studios Morrisounds fut effectué par Dan Johnson et Scott Burns, et a permis d’éviter les lacunes des deux précédents albums en procurant à No More Color un haut standard de qualité de production, plus claire et plus vive.
Voici désormais une magnifique pochette et un titre intrigant, tous deux lourds de sens. « Le titre « No More Color » est une incitation à se détacher de toutes les distractions qui entourent nos vies et à mieux nous connaître, trouver un moyen de mieux considérer en détails les aspects simples de la vie. Nous sommes constamment entourés de choses peu importantes, comme des publicités débiles, qui nous empêche de nous concentrer sur les choses qui importent réellement. Beaucoup de gens traversent leur vie subissant ces choses insignifiantes et sans parvenir à aller au-delà de celles si. La couverture illustre une personne couvrant ses yeux de tout ça, essayant d'éloigner la lumière éblouissante, afin de prendre plus de temps à se concentrer sur des sujets plus importants. » Cette explication de Marky s’avère être par ailleurs en parfaite corrélation avec la maturité impressionnante des paroles qui marquent Coroner depuis cet album. Contrairement à la majorité des groupes de thrash, Marky a, à partir d’ici, développé une approche bien plus « intellectuelle » des paroles de Coroner. « Il est relativement facile de dire ‘fuck’ dans une chanson. Forcer l’auditeur à lire entre les lignes est par contre déjà bien plus un challenge pour l’écrivain. » En fait Marky aime par-dessus tout lire et puise son inspiration essentiellement dans ses nombreuses lectures. Coroner en 1989. De gauche à droite : Ron, Tommy et Marky.
Des paroles intellectuelles mais aussi très glauques, voir souvent perturbantes. Contrairement a ce que nos préconceptions pourraient nous indiquer, ses propos noirs de tourments sont loin d’être le résultat d’une enfance douloureuse. Non, Marky a bien au contraire vécu une enfance joyeuse, dans une famille des plus chaleureuses. Ses paroles ne trouvent donc aucunement leur essence dans un tourment secret et personnel. Les sujets soulevés par Coroner, dans une certaine mesure, appartiennent à tous et toutes, mais nous préférons généralement les oublier par lâcheté. Coroner essais en quelque sorte de remuer une société laxiste qui ce complet de plus en plus (d’autant plus vrai aujourd’hui) à se cacher les vrais problèmes afin de prétendre à leur disparition. Cependant, telle la moisissure, le tourment humain continue dans le silence sa croissance, rongeant l’humanité en partie aveuglée par sa luxure. Sur l’instant, il est bien évidemment plus aisé, et surtout réconfortant, de considérer de jolies fleures bleues qu’un homme dépérissant dans une rue… mais a long terme, les fleures bleues risques de disparaître laissant place à la misère. Attention toutes fois à ne pas mal interpréter l’approche de ces propos. Coroner ne préconise pas d’oublier la beauté du monde mais nous met face à une réalité qui entoure l’homme, afin d’en prendre conscience et d’en retirer une véritable critique.
Une chanson qui illustre parfaitement ce principe serait « No Need To Be Human » comme l’explique Marky : « Ceci traite du triste fait qu’il y a énormément d’ignorant autour de nous, qui n’ont rien a foutres de ce qui se passe autour d’eux. Ils ne font que les accepter, ce qu’ils voient à la TV et lisent dans les journaux, etc. C’est une sorte de ‘bordel ! Réveillez-vous !’ de mon point de vue, une chanson qui dit ‘réveillez vous et bougez-vous le cul ‘. » Voici l’explication de deux autres titres qui expose des problèmes plus spécifiques, « Read my scars » : « Cette chanson parle de ces prisons où ils enferment des gens en détention solitaires, dans une chambre vide. Ils gardent ces prisonniers seuls dans cet endroit pendant très longtemps sans le moindre contact avec l’extérieur ou qui que ce soit. Ils ne voient que peu, voir pas du tout, la lumière du jour, ils perdent alors tout concept de temps, et même de la vie. Je pense que ce type de choses inculque aux criminels des réactions et impulsions extrêmesRon Royce en 1989 lorsqu’ils sont relâchés – probablement plus que lorsqu’ils sont rentrés. », et « Tunnel of Pain » : « Cette chanson est simplement a propos de la vie… A propos de certaines personnes qui n’ont pas beaucoup de chance, comme les vagabonds, mais surtout ses personnes âgées que nous voyons airer dans les rues, sans domicile. Ces personnes n’ont peut être jamais eue une chance depuis leur naissance. Ils n’ont peut être jamais eus le choix de rentrer dans le système de par la façon dont leur vie a tourné. »
Sur No More Color le groupe aiguise son art, développe son expérimentation des rythmes atypiques et l’influence du Jazz ce fait d’autant plus sentir dans le jeu de Tommy. Les compositions, tout en étant globalement plus simples et dépouillées, exhibent des passages instrumentaux renversants, des changements de tempos à s’y casser les dents et des riffs plombants d’efficacité. Cet album furieux est une vraie leçon de dynamique. On a probablement affaire au meilleur compromis entre l’esprit thrash technique des deux premiers albums et le coté plus intriqué mais posé des deux suivants.
Comme le notait Steffan Chirazi (journaliste) à l’époque « Coroner montre une incroyable capacité à empoigner des parties qui n’ont que peu de significations séparément, en les changent en magnifiques compositions racées. Ce groupe a tous les droits d’être aussi populaire que Slayer. » Malheureusement ceci n’arrivera jamais et Coroner conservera jusqu’à la fin de ses jours le statut de groupe « culte », soit un groupe bénéficient d’une dévotion exemplaire de la part d’un bataillon de fans, d’une excellente réputation underground mais sans jamais atteindre le succès commercial à la hauteur.


Tommy T. Baron en 1990. Début d’une décennie peu propice au metal, où ce dernier voit d’ailleurs sa popularité tomber en chute libre malgré d’excellentes productions. C’est le débarquement du Grunge qui envahis le monde du rock et les prémisses de la « pop » commerciale, une musique simplette et préfabriquée qui fait le bonheur des hommes d’affaires. Ceci n’est pas là pour aider Coroner, subissant toujours le laxisme de Noise à l’encontre de leur promotion, dont la musique, de plus en plus sophistiquée, en pâtit grandement.
Le boulot promotionnel de Noise est d’ailleurs absolument honteux et ces derniers ne font quasiment rien pour répandre la musique du groupe, ne serai-ce qu’a toute l’étendue de son public potentiel. Il se trouve que même le catalogue de La Redoute serait parvenu a faire une meilleure promotion de nos trois suisses… (Ndr : désolé, c’était trop tentant pour ne pas la faire…).

Ron Royce en 1990 Coroner partage tout de même l’affiche aux cotés de Kreator, Sabbat et Tankard sur 43 dates à travers les US, le Canada et le Mexique. C’est la première véritable tournée du groupe, n’ayant participé qu’à 18 concerts depuis son existence à raisons de nombreux problèmes. Un aperçu sonore de la prestation du 4 mars peut être entendu sur la compilation Doomsday News 3 sur laquelle figurent les titres : « D.O.A. », « Absorbed » et « Read My Scars ». De plus Noise édite, sans le consentement du groupe, l’intégralité du concert sur la vidéo « No More Color Tour ’90 – Live In East Berlin ». Une vidéo relativement mal réalisé qui ne montre pas vraiment le groupe au meilleur de sa forme, mais qui est jusqu’alors l’unique témoignage officiel d’une prestation scénique.
On peu aussi relever que Marky s’essai à la production et produit cette même année l’excellent Psychological Torment des franchouillards de No Return. Une collaboration qui marque un réel gage de qualité de part et d’autres du Jura.


Coroner entre les Sky Trak studios à Berlin pour enregistrer un nouveau chef d’œuvre, généralement considéré non seulement comme la référence de sa discographie, mais aussi comme un album qui a marqué l’histoire du metal : Mental Vortex. Tout comme No More Color, Mental Vortex est mixé aux Morrisound mais tombe cette fois ci entre les mains de l’excellent Tom Morris (Savatage, Morbid Angel…). Coroner bénéficie enfin d’une production à la hauteur de son prestige.
Pensant n’avoir plus rien à prouver dans les départements « vitesse » et « technicité », Coroner s’engage une fois de plus dans une nouvelle direction, engendrant une musique plus posée (c’est relatif) mais hautement racée. Le trio, plus uni que jamais, entame son coté expérimental, qu’il mènera au paroxysme sur Grin, et nous fait une brillante démonstration de maîtrise et d’élégance. Coroner en 1991. De gauche à droite : Tommy, Marky et Ron. La rage des précédents albums se fait encore plus réfléchie et s’entrecoupe avec une finesse instrumentale lumineuse. Le jeu de Tommy est fulgurant de maîtrise et nous attrape les tripes pour ne plus les lâcher. Mental Vortex est un testament à la créativité de Coroner dans le contexte Trash, qui atteint ici des sommets vertigineux, et marque en même temps l’avènement du « thrash progressif ».
Les paroles quant à elles, tout en restant fidèles aux principes que Marky développe sur No More Color, gagnent encore en qualité d’écriture et atteignent presque un niveau philosophique. A noter que le groupe s’est une fois de plus essayé au jeu de la reprise, et cette fois ci décide de remanier à sa façon le « I Want You (She’s So Heavy) » des Beatles pour un résultat tout simplement jouissif !
Avec Mental Vortex, Coroner parvient à sublimer le thrash, et finalement la seule inquiétude que peuvent avoir les fans, est de savoir si Coroner sera en mesure de faire mieux… mais la réponse s’avère être très surprenante.


Au cœur de la gloire du Grunge, à une période où la simplicité artistique installe son règne commercial, Coroner décide d’aller à contre courrant en imposant sa consécration artistique mais aussi son acte de suicide ultime. C’est le début de la fin. Le nouvel et dernier véritable album de Coroner, Grin, est enregistré dans le confort de leur pays originel et est mixé une fois de plus par Tom Morris.
L’affirmation suprême d’un art, Grin, à l’image des plus prestigieuses peintures, s’avère être une pièce unique et inimitable.
Dans le royaume de l’expérimental, là où Mental Vortex n’a fait que poser un pied timide, Grin s’en va courageusement conquérir des étendues totalement libérées de toute préconception humaine. Plus qu’un monde extra terrestre, Grin est une machine vivante et organique. Elle respire sa rage par un souffle lourd et langoureux. Elle se nourrit avidement de ces douloureuses émotions que l’homme essai au mieux de garder enterré. La bête se cache, se calfeutre et se faufile avec agilité dans l’obscurité de notre inconscient, se métamorphosant sans cesses pour mieux charmer sa proie. C’est lorsque celle-ci se sent le plus rassurée que la chimère bondie, lui plantes ses crocs affûtés dans la chaire cérébrale et avec furie lui meurtrie le peu d’humanité qui lui reste. Tel un chat avec sa souris, elle ne l’achève pas mais préfère laisser la proie suffocante airer pour mieux réitérer son jeu. Coroner en 1993. De gauche à droite : Ron, Marky et Tommy.
Coroner est parvenu à projeter un éclectisme musical au sein d’un style, le thrash, que l’on a longtemps considéré fermé. Grin transcende ses origines, les dénatures, les étires vers des dimensions encore aujourd’hui inexplorées. Mais après tout, sont-ils humain ? A entendre le chant de Ron c’est à se le demander. Sa voix libère une terrifiante essence primale, qui renvoie au ridicule la superficielle et puérile brutalité de tous ces groupes pour adolescents en mal de sensations fortes qui pullulent aujourd’hui. Lorsqu’il grogne « nails in my brain, nails hurt », il va bien plus loin que la simple expression d’une douleur et nous injecte directement sa névralgie. On peut aussi dénoter la créativité rythmique surprenante, la délicatesse du travail des guitares, parfois même en acoustique, qui ne perd pas un brin de puissance et les ambiances synthétiques qui, par transparence, ensemence discrètement la musique. Grin est certainement le plus dépouillé et le plus posé des albums de Coroner mais paradoxalement aussi le plus intense.
En considérant les paroles en tant que trait commun, elles relatent de la lutte de l’homme contre ses instincts primitifs, essayant de donner un sens à une société artificielle, parfois même brutale, qu’il s’est façonné au cours des siècles. Je parle de l’homme au sens le plus général, car effectivement ceci concerne tout le monde, même ceux qui n’en ont pas conscience, et peut être même surtout eux. Coroner en 1993. De gauche à droite : Ron, Marky et Tommy.
Mais Grin, c’est bien plus encore et nombreux sont les adjectifs à pourvoir s’y rapporter : beau, laid, lourd, léger, lumineux, sombre, rageur, doux… La musique se contredit et s’étaye à la fois, à l’image de la conscience et des émotions humaines. On découvre finalement que c’est véritablement ce contraste intérieur qui fait vibrer l’être humain. A fouiner au plus profond d’eux-mêmes, il se pourrait que Coroner, dans sa tentative à extraire la perfection, soit finalement parvenu à conceptualiser cette essence, l’instinct bestial peut-être, qui dirige l’homme au fond de lui-même, au-delà de sa conscience et de son inconscience.
Grin n’est pas votre album de metal habituel. Il s’avère d’une assimilation relativement difficile et par conséquent requiert une attention toute particulière afin d’en extraire le trésor enfouis. En fait, cet album se révèle être bien plus que de la musique, car une âme farouche mais fascinante semble le régir. C’est la raison pour laquelle il reste inimité voir même inimitable.
Mais inutile d’en dire plus, car les mots s’arrêtent là où la musique de Grin commence…


De gauche à droite : Tommy, Marky et Ron. Comme nous pouvions le prévoir, Grin est un désastre commercial. Noise Records n’a même pas levé le moindre petit doigt pour promouvoir l’album qui est tombé dans l’anonymat le plus complet ; même si le groupe a pu se débrouiller pour s’organiser deux brèves tournées européennes. La pression, et une sensation de ras le bol grandissant, les mènes finalement à bout de nerfs, entraînants le groupe à une triste séparation. Commentaire de Tommy : « Les problèmes multiples et incessants que nous avons eus avec Noise forment la principale raison de notre séparation. A chaque fois que nous avions quelque chose à voir avec ces gens, ça tournait à la catastrophe. C’est vraiment une boîte de merde, tous les ans, ils changeaient complètement d’idée et de philosophie à notre sujet, ils n’ont jamais su comment travailler sérieusement le groupe. »

Malgré tout, Coroner a, à l’origine, signé un contrat de six albums. Il leur reste un album à achever pour se libérer de leurs obligations contractuelles. Cependant Coroner refuse de composer un nouveau disque pour le compte du label, mais ne veut pas non plus offrir un simple best of à ses fans comme le leur suggère le label peu consciencieux. Le groupe se met finalement d’accord avec Noise sur un compromis.
Le groupe s’étant séparé peu de temps après la sortie de Grin, en 1993, tous les membres de Coroner n’ont pu être rassemblés, pour des questions d’emplois du temps, pour l’enregistrement de tous les nouveaux morceaux. C’est donc un ami, Peter Hass (ex-Mekong Delta), qui joue la batterie sur 3 titres et un autre bassiste sur un titre.
En 1995 l’album éponyme voit le jour. Cet album aux senteurs aigre-douces est en fait une compilation regroupant six de leur meilleures pièces de musique (un par album) éparpillés au milieu de dix titres inédits, dont cinq totalement nouveaux offrant une perspective de ce que nous aurait réservé le futur musical de Coroner. Cinq titres montrant Coroner tâtonner en lisière de son art, allant d’une décharge de riff tranchants sur des éboulements rythmiques à des textures plus modernes, voir atmosphériques, démontrant une utilisation plus approfondie de sons synthétiques. Le reste ouvre un éventail sélectif sur des anciens titres tout simplement divins, sans doutes les plus brillantes perles de Coroner. On peut aussi relever 2 curiosités: un remix techno très étrange de "Grin" et une version acoustique et minimaliste du Purple Haze de Jimi Hendrix, à la limite du raggae, totalement en décalage avec la version présente sur l'album Punishment for Decadence. Finalement, c’est peut-être, après tout, avec ce best of que Coroner parvient à approcher de plus près son objectif de perfection…

Une tournée d’adieux est finalement organisée en 1996. Le groupe y met à l’honneur la France. « Pour nous, c ‘est très agréable de jouer en France, le public est toujours au rendez-vous et semble vraiment comprendre notre musique » nous commente Marky. Il se trouve aussi que c’est la première fois dans sa carrière que le groupe prend un tel plaisir à jouer, Coroner en concert au Rail Theatre (Lyon) le 16 octrobre 1993 comme l’avoue Tommy : « On n’a plus aucune pression sur les épaules maintenant, on peut donc vraiment apprécier. Je dirais même qu’on se sent beaucoup mieux ensemble aujourd’hui (Ndr : commentaire datant de janvier 1996 ) qu’il y a un an de cela. On est ici parce qu’on en a vraiment envie, alors que ces derniers temps, tous les problèmes qu’on a eus avaient presque eu raison de notre amitié ! En un mot, on s’éclate pour de vrai ! »
A titre informatif, une cassette inédite fut vendu lors des concerts d’adieux, intitulée « The unknown unreleased track 1985-95 », et la démo « Death Cult » est commercialisée au format CD courrant 1996.

Ainsi se termine la naissance d’une nouvelle esthétique. Coroner, victime de ce que l’on pourrait appeler le syndrome « trop et trop tôt », n’existe peut-être plus, mais son essence artistique perdure éparpillé de ci de là au sein de nombreuses formations actuelles, généralement les plus innovantes.
Il est cependant navrant de constater que, quels qu’en soient les motifs, ce sont souvent les groupes les plus révolutionnaires qui disparaissent prématurément. Le groupe Death – certainement celui dont l’esprit et l’évolution de l’approche artistique se rapprochaient remarquablement le plus de Coroner – en fut un autre exemple flagrant, mais ici pour des raisons bien plus tragiques. Alors, fiez-vous d’abord à vos instincts les plus nobles, sachez reconnaître la qualité et ne vous laissez pas bluffer aveuglement par les artifices ; ou bien d’autres groupes artistiquement majeurs seront certainement amenés à tristement disparaître, sans que vous, et bien d’autres, n’ayez pu en profiter. Supporter un tel groupe, c’est bien, mais c’est encore mieux lorsqu'il n’est pas encore défunt.


En guise d’épilogue je vais faire un bref résumé du devenir de Tommy, Ron et Marky après la séparation.
Tommy prend part à quelques tournées d’autres artiste, notamment Stephen Eicher en ’95 (ce qui lui a permis de jouer face à 50000 personnes et avec qui il a aussi travaillé en studio), Voodoo Cult en décembre ’95 et remplaçant Jim Martin dans Faith No More sur quelques dates courant ’95. Il créé son nouveau groupe, Clockwork, avec le batteur Peter Haas (Mekong Delta, Calhoun Conquerer), un bassiste de la région où il réside et un chanteur qui n’est autre que son « guitar roadie ». Finalement Tommy intègre Kreator en 1997 pour enregistrer les albums Outcast et Endorama, puis quitte le groupe en 2001.
Marky joue en tant que batteur de session pour des artistes allant du metal à la pop et même la techno, et organise ses retrouvailles avec Tom G. Warrior de Celtic Frost afin de former Appolyon Sun, un groupe expérimental de Metal Indus. Groupe qu’il quittera finalement en 2000. Son dernier projet en date se nomme « Supreme Psychedelic Underground » (ou « Spoo »), et va nettement explorer le domaine de la techno.
Ron a momentanément mis de coté la musique pour travailler au magasin d’outillage de son père, ceci afin de respirer par rapport au business de la musique et de remettre ses idées en place.

Quant au sujet d’une hypothétique réunion de Coroner, les trois membres ont avoué ne pas exclure le fait de retravailler ensemble à nouveau, mais probablement pas sous le nom de Coroner.




Dossier entièrement conçut, réalisé et mis en page par Niko entre le 29 août et 8 septembre 2002.

Si vous souhaitez en savoir plus à propos de Coroner je vous conseil vivement de consulter le site suivant qui m'a grandement inspiré et aidé dans la réalisation de ce dossier:

The Unoficial Coroner Web Site


Voici la liste des interviews dont des extraits figurent sur cette page:
Interview de The Coroner Page, questions de Carole et propos receuillis par Andy M. Siegrist en avril 1998.
Interview de Hard N' Heavy Magazine par Fred Burlet en janvier 1996.
Interview de RIP Magazine par Steffan Chirazi en juin 1990.

Toutes les photographies proviennent exclusivement de The Unoficial Coroner Web Site.